Philippe Ames |
1.
Comment as-tu commencé comme
artiste ?
J’ai
commencé quand j’étais petit enfant. Je dessinais comme tous les enfants. Les
bandes dessinées ont été très importantes pour moi. J’adorais les BD, je les collectionnais.
J’ai appris à lire le français en lisant des BD de Tintin et autres. Je ne
parlais pas encore le français (mais l’anglais, je suis né en Californie, 1965)
et dessiner a été ma façon de m’exprimer. Je n’avais pas vraiment de voix dans
ma famille et la BD m’a permis de communiquer. Encouragé par ma mère j’ai commencé à dessiner mes propres
histoires à 8-9 ans. Je faisais une BD par année, d’environs 25 pages, que je
finissais pour Noël et j’en faisais plusieurs copies pour distribuer à tous.
Les 3 premières histoires c’étaient les aventures de deux
jumeaux, "Georges et Jacques" comme dans Tintin, les Dupont et Dupond.
Je pense que la dualité signifie mes deux identités suisse-américain, je suis binational.
J’étais obsédé par le thème de l’argent, comme quoi il n'apporte pas le
bonheur. J’ai participé à des concours
de BD et j’ai gagné des prix dans des journaux. J’ai été encouragé dans
mon entourage scolaire.
Ensuite, j’ai fait l’école de beaux-arts à l’Art Center College
of Design à Pasadena en Californie. J’ai étudié l’illustration, les beaux arts
et le cinéma. J’ai ensuite travaillé comme dessinateur de dessins animés et comme
monteur de films.
La sculpture est venue après dans ma vie d’adulte. J’ai pris de cours
pour travailler le bois. Le bois c’est chaleureux, solide mais sculptable à la
fois.
2. Présentation
dans l’actualité : qu’est-ce que tu fais aujourd’hui, quelles techniques
travailles-tu, où travailles-tu ?
Aujourd’hui j’ai un atelier pour faire de la sculpture en
petit format. Ce sont des objets en bois, j’utilise des crayons de couleurs
comme matériaux que j’intègre dans les sculptures.
Le thème de la maison est pour moi une forme archétype,
symbolique de l’identité de la personne. Je fais aussi des nichoirs d’oiseaux,
une forme de maison dans un arbre. Cela me sort du monde sérieux de
« l’art ».
Mon procédé est le suivant : Je travaille avec du bois flottant
ou des chutes de bois d'ébéniste récupéré. Je rentre dans le moment présent
pour être dans la joie de travailler. J’aime couper, coller, clouer, râper,
viser, poncer, assembler jusqu’à ce que je me sent satisfait du résultat. J’aime
l’activité manuelle. C’est le fait de faire qui est du bonheur pour moi.
Je travaille aussi comme enseignant de travaux manuels.
3. Projets
en réalisation, et /ou futurs.
Actuellement j’aimerais faire assez d’objets pour une
exposition. Mes thèmes : l’identité, l’enfant intérieur, l'inter-être.
J’ai aussi des projets futurs d’objets à grand format dans lesquels
les personnes peuvent entrer à l’intérieur des objets. C’est de l’art situé dans
un environnement naturel, Landart. Par ex. j'ai un projet d'une spirale géante
en bois qui s’appelle « autour du feu ». J’aimerais aussi réaliser une
sauna et un dôme géodésiques. Ce sont des structures faites à base de
triangles. Cela a été conçu par un ingénieur écolo : Buckminster Fuller.
Ces dômes sont très solides et plus résistantes que les formes rectangulaires.
Ils étaient très apprécié par les hippies des années 60 !
4. Quelles
sont les idées, ou expériences que tu considères importantes dans ton activité créatrice ?
Une idée qui m’importe est l’inter-être : l’interaction
du corps vivant avec le reste du monde. Les objets que je crée sont parfois
coupés comme séparés d’une autre partie avec laquelle ils étaient en lien.
L’objet fait partie d’un tout .
Je travaille de plus en plus au "feeling", ce
n’est pas intellectuel. C’est un travail physique avec le bois et les outils.
Beaucoup de décisions sont prises en suivant les sensations.
5. Stratégies
de résistance : comment affrontes-tu les difficultés, et les moments de
crise ?
Des crises il y en a toujours, c’est inhérent au travail
artistique. Quand on veut passer d’une idée au monde matériel, le monde
matériel résiste. Par ex. j’ai de la peine à réaliser les gros objets parce que
cela demande plus de temps, plus d’argent et de l’aide. Cela résiste, cela a de
la peine à s’incarner dans la matière.
Je ne suis pas quelqu’un qui affronte les choses
frontalement, si cela ne vient pas je laisse jusqu’à ce que cela vienne, comme
l’eau qui va où la gravité l'emmène. Je reprend plus tard, je persévère mais je
laisse respirer. au contraire de Fitzcarraldo par exemple, dans le film de
Herzog, où cet homme veut absolument faire passer un bateau en dessus d'une
colline, pour l'amener d'une rivière à une autre. Je ne suis pas comme ça. Je
n’ai pas cet acharnement.
6. Raconte-nous
un jour de travail.
J’arrive dans l’atelier et je met mes habits de travail. Je
travaille sur 2-3 objets en même temps. Je rentre dans "le flow" du
travail. J’aime être dans l’atelier, de m’en occuper, mon enfant intérieur est
très content là-bas, c'est mon "playground". C’est un endroit privé,
je préfère que personne n'y vienne, j’ai une colocatrice très discrète...
7. Références
artistiques : quels artistes t’intéressent ?
-James Turell, c’est
un artiste qui travaille la lumière et l’espace.
-Une grande influence pour moi :
-l’architecte
qui dans l’antiquité a dessiné la pyramide de Gizeh.
-Gordon
Matta-Clark - coupes de bâtiments
-herman de vries -
( il a bani la Majuscule ) - travaux de méditation sur la nature.
-Buckminster
Fuller - Inventeur, Designer
-Bill Viola -
Installations vidéo
-L'Art Brut -
Henry Darger, Ataa Oko, ...
Mais aussi Max Ernst,
Frida Kahlo, Van Gogh, Auguste Renoir, ..., le landart.
J’ai plein d’artistes que j’admire.
8. Quelle
est ta vision sur l’art dans la société actuelle ?
L’art est essentiel.
La beauté, c’est important.
L’art remet
un questionnement, une ouverture.
Si on laisse la société vivre dans le
rationnel on manque le centre, le moment présent. L’art a plus d’importance
qu’on lui donne. Son importance est encrée dans la créativité, tout est créatif,
tout est art, tout le monde manifeste la créativité dans les choses qu’ils font
tous les jours.Tout est une question d'intention.
9. Quelle
est ta vision sur le rôle de l’artiste dans la société qu’il habite ?
L’artiste vit sa vie comme tout le monde, avec ses valeurs.
Il peut aussi transmettre aux jeunes générations l’importance de l’art. Il peut
enseigner, comme cela il créer un lien avec la nouvelle génération.
10. De toi
à toi : fais-toi une question a toi même et réponds-y.
Par
rapport à l’art, j’ai remarqué ces temps que ma vie sociale me distancie de mon
travail d’artiste. J’ai fait beaucoup de développement personnel et maintenant
je reviens à l’art. Je veux que ma vie sociale et l’art se rejoignent plus et
se nourrissent. Si je veux remettre du sens dans ma vie, un bon moyen c’est de
faire de l’art et de le partager avec les autres.
Entretien pour Art Visions
Nom de l’artiste : Philippe Ames
http://moontrails.org
Date :5 mai 2015
Lieux de résidence de l’artiste : Lausanne
Auteur de l'article: Irina Speranza
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